La pierre et son identification
L'archéométrie vise à mesurer par des méthodes d'analyse en microscopie électronique à balayage certains critères discriminants issus des calcaires étudiés et créer pour chacun d'eux une "carte d'identité" telle qu'un échantillon prélevé dans un bloc de pierre donné puisse être rapporté au bassin carrier d'où il a été tiré.
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Le principe des éléments terrigènes
L'originalité de la méthode consiste à traquer les éléments terrigènes arrachés par les torrents à la terre des massifs émergés. Ces éléments transportés par les rivières, relayés par les courants marins, se sont déposés en fines particules piégées dans les boues calcaires de la sédimentation marine. Les fonds marins, du fait des variations de leur nature physique (topographie, turbidité, salinité, etc.) engendrent une ségrégation des dépôts qui crée les conditions d'une géographie minérale différenciée, ce qui fait qu'en un point A ces particules ne seront pas les mêmes que celles accumulées en un point B distant de quelques kilomètres. Le protocole de caractérisation des calcaires repose donc sur ce principe discriminant.
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L'analyse multi-élémentaire au microscope électronique à balayage
Après avoir prélevé les échantillons verticalement sur un front de taille afin d'en mesurer les lentes évolutions en embrassant à la fois le temps géologique et le temps des carriers, il faut en recueillir les éléments terrigènes résiduels après dissolution totale à l'acide. Préparés sur lames de verre et amincis à environ 50 µm, ces grains sont analysés au microscope électronique à balayage en vue de déterminer pour chacun sa composition chimique. Comptés, sériés, affectés de fausses couleurs, ils constituent un corpus minéral singulier qui peut être considéré comme marqueur identitaire d'un bassin carrier. Il suffit alors, par une sélection judicieuse des éléments chimiques selon leurs combinaisons et leur récurrence, d'établir une synthèse graphique à entrées multiples qui en constituera le référentiel. Les critères discriminants y apparaissent sous forme de plages de pourcentages tels que le poids des résidus, leur nombre, leurs diverses combinaisons avec la silice des grains de sable, etc. L'idéal est donc de constituer une "lithothèque numérique" au maillage le plus serré possible, à l'échelle d'un territoire, afin de permettre à tel ou tel échantillon prélevé sur un bloc antique, par exemple, et analysé selon les mêmes procédures, d'être rapporté au référentiel parrain, et démontrer ainsi l'antiquité du bassin carrier considéré. Au final, les carrières antiques peuvent être reconnues de deux manières : certaines le sont directement par l'archéologie, d'autres le sont par l'archéométrie lorsque des échantillons assurément antiques en proviennent.
Les échantillons sont ensuite analysés au Centre Commun d’Analyses de La Rochelle, intégré au laboratoire LaSIE, au moyen d’un microscope électronique à balayage de type FEI Quanta 200 FEG (site internet : Laboratoire des Sciences de l’Ingénieur pour l’Environnement). D'une manière générale six critères sont sélectionnés pour l'analyse multi-élémentaire : l'aluminium, le potassium, le titane, le fer, le zirconium, et enfin le silicium par rapport auquel les autres éléments sont comptés en pourcentage. Il arrive néanmoins que pour des échantillons dont les grains terrigènes sont peu nombreux, un panel élargi des éléments chimiques soit requis. Une synthèse graphique des résultats est alors établie qui en constitue le référentiel.
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Le référentiel est la "carte d'identité" de la carrière
Nous donnons ici l'exemple du calcaire de Plassay-Crazannes pour illustrer la démarche. La grille s'ouvre sur des entrées multiples pour éviter les éventuels chevauchements d'un référentiel à un autre. Nous y voyons en abscisse les pourcentages obtenus qui s'étalent en des plages correspondant aux variations des 9 échantillons du front de taille de la carrière, et en ordonnées les critères discriminants retenus : le poids des grains résiduels par rapport au poids des échantillons, le nombre des éléments remarquables par rapport au nombre total de grains, le nombre relatif des silicates (éléments qui se sont combinés à la silice des grains de sable) et leur ventilation (silicates d'aluminium, de fer, de potassium et la combinaison des orthoses : aluminium + potassium), et le nombre relatif des non-silicates (titane et fer). Tout échantillon prélevé sur un bâti quelconque et analysé selon la même procédure qui s'intégrerait dans l'ensemble de ces plages est considéré, a priori, comme provenant des carrières de Plassay-Crazannes. Toutefois il faut souligner qu'il s'agit là d'une hypothèse qui doit être confirmée par l'étude géologique, par les données de l'archéologie et par les conditions économiques de l'approvisionnement. En conséquence, la provenance sera énoncée comme "assurée", "probable" ou "possible".
A ce jour une quinzaine de référentiels ont été élaborés qui servent de base à la connaissance des flux de la pierre. Ils ont été ciblés principalement pour leur potentialité à identifier des carrières antiques ou médiévales, là où les documents écrits manquent.
L'échantillon provenant d'un mur appareillé du rempart de La Rochelle sur le site de la Place Saint-Nicolas, restauré au XVIe siècle, s'intègre globalement dans les plages du référentiel de Crazannes. Il y a tout lieu de penser de façon assurée qu'il provient de ce bassin carrier. La parenté géologique de l'échantillon avec la pierre de Crazannes et l'histoire de l'approvisionnement des places-fortes du littoral charentais appuient ce diagnostic.
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Les référentiels du bassin de la Charente et leurs applications