La pierre au cours des siècles en Haute-Saintonge
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La pierre au temps de la protohistoire
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La pierre antique
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La pierre des sarcophages
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La pierre au Moyen Âge
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La pierre des Temps modernes
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La pierre de la Révolution industrielle
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Les carrières au XXe - XXIe siècles
La pierre au temps de la protohistoire
Le camp de Cordie, commune de Marignac (fig. 1), est connu depuis longtemps des amateurs d'antiquités. Il s'agit bien d'un camp, protégé par un imposant rempart dont on perçoit la forme élevée à la tranchée de la route départementale 146 qui descend du plateau d'Usseau au hameau de Cordie. La rivière du Trèfle en protège la partie sud et l'ouest présente le fort dénivelé naturel d'un ancien affluent du Trèfle. Les hommes se sont installés sur cet espace de hauteur en éperon barré depuis la période de l'Âge du Cuivre dite « Civilisation d'Artenac » (environ 2200-1800 av. J.-C.) jusqu'au Bronze final (750 av. J.-C.)
Les ramassages de surface ont livré de nombreux objets en bronze, des silex taillés, des tessons de céramique et des fragments de grès dont certains, polis par l'usage, ont servi de meules à grain. Les musées de Royan, Pons et Jonzac en conservent certains vestiges. En 1977, la Société Archéologique et Historique Jonzacaise a réalisé un sondage qui a montré la forte occupation du site à l'époque artenacienne.
L'information fournie par M. Éric Poirier de l'existence d'importantes fosses, à l'ouest du site, dans les bois de Fraud et Galante, relance l'intérêt de la recherche (fig. 2). Ce sont des fosses d'extraction de grès, nombreuses, pouvant mesurer 3 ou 4 mètres de profondeur et de forme ronde ou allongée. L'exploitation de cette ressource faite de grains de sable collés entre eux, née à l'ère tertiaire, constitue un véritable mystère qui n'a pas laissé de traces, ni dans les archives, ni dans la mémoire collective. Et pourtant des centaines de mètres cubes de matériau en sont sortis...
Cordie, un pôle commercial des meules de grès lors de la Protohistoire ?
Malgré la durée de l'occupation du camp de Cordie sur un millénaire et demi, l'ampleur de l’extraction du grès dépasse très probablement les besoins propres de ces populations d’une centaine d'individus, tout au plus. Il se peut alors que ce grès ait fait l’objet d’un commerce de troc à grande échelle.
Cette suggestion ne peut néanmoins exclure l’idée que lors de temps plus proches tombés dans l’oubli, on ait pu extraire le sable qui accompagne les blocs de grès pour les besoins de construction.
La fouille d'une des fosses d'extraction donnerait peut-être une réponse à cette énigme.
La pierre antique
En Haute-Saintonge nous n'avons pas, jusqu'à ce jour, reconnu formellement de sites de carrières antiques, même si nous sommes assurés que de la pierre de Jonzac, par exemple, a bien été utilisée pour les besoins de construction de la villa antique. Pas de carrière antique reconnue non plus à Pons, pourtant riche en beaux blocs architectoniques entreposés à la chapelle Saint-Gilles. Aucun document écrit, naturellement, ne nous est parvenu d'un quelconque marché de pierre de l'époque. Nous savons seulement que les conquérants romains, pour asseoir leur domination, ont érigé en belle pierre blanche de grand appareil des monuments qui ont assurément impressionné les populations autochtones dont les élites vont chercher à s'attirer les faveurs.
Toute proche de la Haute-Saintonge, la carrière de Thénac apporte à la connaissance de la pierre antique une documentation majeure. La photographie aérienne en révèle la forme elliptique soulignée par la végétation buissonnante de ses rebords.
L'enquête de terrain et la fouille réalisée d'une partie de la carrière ont révélé l'emploi du pic romain, l'escoude, dont les sillons parallèles distants de 22 à 26 mm, signent une utilisation datée du Haut-Empire, vers 25 ap. J.-C.
L'escoude antique et ses traces laissées sur la paroi d'un front de taille
L'analyse des sols de carrière apporte beaucoup de renseignements sur la stratégie de l'exploitation, sur le nombre des artisans dans un chantier, sur les gauchers et les droitiers, sur les outils employés et les modules des blocs extraits.
Sol de carrière de la carrière antique de Thénac
Les traces au sol sont nettement visibles : on y voit en effet les reprises de chantiers, l'alignement des traces d'emboîtures qui délimitent les blocs. Aléa du travail de la pierre : les carriers, ici, ont dû faire face à une importante fissure transversale qui les a considérablement gênés pour la fourniture de blocs dimensionnés !...
Bibliographie :
GAILLARD J., L'exploitation antique de la pierre de taille dans le bassin de la Charente, Association des éditions chauvinoises, Mémoire XL, 2011.
La pierre de l’agglomération antique de Barzan : identification, approvisionnement et usages
La pierre antique à Saintes : provenances, usages et pratique du tournage
Pierre et carrières dans la Saintonge antique : identification, usages et diffusion
Annexe 1 - Tableaux de diffusion
Annexe 2 - Synthèses graphiques
La pierre des sarcophages
Il faut faire à la fabrication des sarcophages une place à part, et les recherches y sont depuis peu engagées d'un point de vue global, faisant converger les approches pétrographiques, techniques et stylistiques. Des synthèses régionales commencent à apparaître qui donnent à voir des aires normées de production. La Haute-Saintonge est riche de plusieurs nécropoles datant de l'Antiquité tardive et trois d'entre elles ont fait l'objet de fouilles en Haute-Saintonge : Neuvicq-Montguyon, Chadenac et Jonzac.
Commencée en 1860, la fouille du cimetière mérovingien de Neuvicq-Montguyon a été reprise par Louis Maurin en 1964. Rien de plus classique que ce champ des morts datant des VIe siècle, fait de tombes trapézoïdales juxtaposées et plus ou moins alignées, munies pour la plupart d'un couvercle en bâtière à quatre pans, et probablement regroupées par familles. Mais l'originalité du cimetière de Neuvicq tient dans les inscriptions des noms des défunts qui étaient gravées sur les couvercles, avec parfois une croix signifiant leur foi chrétienne. On y trouve des origine variées : gauloise, latine et germanique.
La pierre que l'on dit provenir de Jonzac mériterait sans doute une confirmation d'analyse archéométrique.
Neuvicq : sarcophages d'Emeterius et de Flore(n)tinus (cl. L. Maurin)
Une quarantaine de noms ont ainsi été répertoriés, inscrits à la vue des passants. Les cuves seules devaient être enterrées tandis que les couvercles émergeaient.
Le cimetière du Terrier de la Chapelle à Chadenac a fait l'objet de deux années de fouilles menées par B. Farago-Skekeres (1993-1994) au cours desquelles la typologie des fosses a été précisée dans ses évolutions. D'abord les rangées de fosses du Ve siècle et première moitié du VIe siècle ont été relayées par des sarcophages à cuve trapézoïdale aux VI-VIIe siècles. En tout ont été recensés 471 tombes, 300 sarcophages et 166 coffres de bois.
Plan d'ensemble de la nécropole mérovingienne de Chadenac (relevé collectif et mise au net Farago)
La pierre gélive utilisée, issue vraisemblablement du Campanien local, a peu résisté aux vicissitudes d'une occupation millénaire : deux tiers des cuves arrachées, détruites tant par l'installation d'un prieuré médiéval que par les fouilles anciennes.
Néanmoins, le bel ordonnancement général des tombes délivre le message d'une société apaisée après les invasions germaniques grâce à la prise en main par l'église d'une forte population rurale composant les paroisses naissantes. C'en est fini des vieux mythes païens. Le petit prieuré qui s'installe sur la nécropole utilise en remploi comme un vulgaire bloc de construction le buste d'un dieu antique autrefois révéré.
Sculpture gallo-romaine représentant le torse de Mercure, découverte en remploi dans une chapelle funéraire (cl. A. Gendre)
La nécropole du parvis de l'église de Jonzac a fait l'objet d'une fouille approfondie menée par Léopold Maurel du Service départemental d'archéologie. Le site a livré un ensemble de sépultures allant du Ve siècle au VIIIe siècle, puis, après une période d'abandon, le site est à nouveau occupé à partir des XI-XIIe siècles.
Selon les sources manuscrites, la formation du bourg de Jonzac débute dès l'époque carolingienne durant laquelle la ville s'articule autour des deux collines de l'église et du château. Le bourg qui naît est encore suffisamment lâche pour permettre l'ouverture au cœur de la ville d'espaces de carrières.
L'aménagement du parvis après la fouille met en évidence les sarcophages couverts et ceux qui ne l'étaient pas (cl. J.-C. Riché)
La question d'une origine locale de la pierre des sarcophages se pose d'emblée du fait de la présence dans l'environnement immédiat, d'affleurements coquilliers présentant un aspect semblable (couleur beige foncé, granulométrie grossière donnant l'aspect de falun, etc.), un matériau utilisé aussi dans les constructions voisines.
Paroi interne d'un sarcophage faite d'un calcaire granuleux et poreux
La présence d'une ancienne carrière à ciel ouvert, à quelques dizaines de mètres du site, a été à l'origine de la pierre des sarcophages. Située entre la rue d'Alvy et la rue de l'Église, elle a été exploitée à ciel ouvert et les maisons, par la suite, se sont construites à son pourtour comme on le voit sur le plan napoléonien. Elle présente un puissant front de taille marqué par deux bancs successifs :
- un banc supérieur de sédiments jaunâtres de 2 ou 3 mètres d'épaisseur consécutif à une transgression marine d'âge tertiaire et qui a servi à la fabrication des premiers sarcophages,
- un banc inférieur de calcaire plus blanc qui a alimenté le cimetière médiéval.
La carrière proche de l'église ayant approvisionné le chantier du cimetière
La nécropole de la Fée aux Roses, à la périphérie sud-ouest de Jonzac date aussi des V-VIIe siècles ap. J.-C. ; elle est donc contemporaine à celle du parvis de l'église. Elle s'inscrit dans un contexte exclusivement rural sans association visible avec un établissement religieux et la fouille n'a pas apporté d'explication à cette situation géographique de périphérie.
Nécropole mérovingienne de la Fée aux Roses (fouilles B. Gissenger, Dép. 17)
Le cimetière a été quelque peu rogné par l'extraction de blocs superficiels mais les sarcophages ne proviennent pas du substrat. La pierre a toute l'apparence de celle des sarcophages du parvis de l'église.
Lame mince en LPNA d'un sarcophage de la nécropole de la Fée aux Roses.
La structure interne du calcaire montre la porosité d'un calcaire fortement bioclastique.
Bibliographie:
FARAGO-SKEKERES B., « Autour de la réutilisation d'une tombe : la nécropole mérovingienne de Chadenac » dans TREFFORT : Mémoires d'hommes – Traditions funéraires et monuments commémoratifs en Poitou-Charentes, La Rochelle, 1997.
MAURIN L., « Le cimetière mérovingien de Neuvicq-Montguyon (Charente-Maritime) », Gallia, 1971, p. 151-189.
GAILLARD J., GRÉGOR Th., LÉRISSON M., MAUREL L., SÈVE St., « Les sarcophages de la nécropole mérovingienne du parvis de l'église Saint-Gervais Saint-Protais de Jonzac (17) : un ensemble morphologiquement homogène », dans I. Cartron,F. Henrion, Ch. Scuiller : Les sarcophages de l'Antiquité tardives et du Haut-Moyen Âge : fabrication, utilisatio, diffusion, Actes des XXXe Journées internationales d'archéologie mérovingienne, Bordeaux, 2009.
ROUGÉ G., « La production de sarcophages durant le Haut- Moyen Âge » dans J. Gaillard (dir.) : L'exploitation traditionnelle de la pierre des Charentes …, 2017, p. 93-115.
La pierre au Moyen Âge
Les historiens ont unanimement montré la situation catastrophique des archives médiévales en Saintonge. Gages de pouvoir, les actes rédigés par les hommes de lois furent la cible de tous les autodafés quand il ne s'agissait pas tout simplement de pure négligence de la part de ceux qui en avaient la charge. L'interminable guerre de Cent Ans et ses chevauchées incendiaires en furent la première cause, accentuée chez nous par la situation de frontière. Vinrent ensuite les guerres de religion qui, de 1562 à 1619, détruisirent en partie ce que l'Église avait réussi à conserver ou à réécrire. La Révolution enfin érigea en acte politique la destruction systématique des symboles d'Ancien Régime. On comprend alors que la place de la pierre et des carrières se trouve réduite à la portion congrue. Reste alors à l'archéologie de faire de son mieux pour scruter le bâti encore en place (châteaux et églises, etc.), et tenter de le corréler avec la pierre et les carrières.
L'extension de la Maison de retraite à Pons, rue du Président Roosevelt à Pons, fut à l'origine d'une prescription archéologique qui mit au jour une carrière au pied du donjon. Les remblais truffés de tessons du Moyen Âge qui ont fossilisé les fronts de taille ont confirmé l'ancienneté de cette extraction qui a probablement servi de matériau de construction de l'édifice tout en renforçant l'abrupt de la falaise et donc la défense du château.
Le donjon de Pons défendu par un puissant abrupt
Axonométrie de la carrière du pied du donjon – Fouilles S. Redais (INRAP)
Les fouilles de carrières sont des opérations spécifiques qui ont pour but de mettre en évidence la stratégie du chantier d'extraction, d'étudier l'évolution dans le temps de la structure et de la dater à partir des traces d'outils observées et des artefacts contenus dans les déblais. En l'occurrence à Pons, un dépotoir du XIIIe siècle avait fossilisé une partie du sol de la carrière au pied du front de taille.
Bibliographie :
REDAIS S., L'extension de la Maison de retraite rue du Président Roosevelt à Pons (17), Rapport de fouille d'archéologie préventive, INRAP, Poitiers, 1988.
SEGUIN M., « La pierre au Moyen Âge-Les archives et la pierre » dans : J. Gaillard (dir.), L'exploitation traditionnelle de la pierre des Charentes..., 2017, p. 127-129.
L'église de Marignac est l'un des joyaux de la Haute-Saintonge romane.
Église romane de Marignac à plan trilobé du XIIe siècle
Il faut venir en admirer la somptueuse ornementation sculptée du chœur et des chapiteaux où s'affrontent les chasseurs et les cerfs dans l'entrelacs des rinceaux de feuillages, où se rapprochent et s'éloignent les amoureux, où se développent en arcades des décors originaux.
Modillons et chapiteau sculptés
Pas besoin d'en aller chercher loin la pierre qui gît là dans le sous-sol aflleurant au contact du Coniacien et du Santonien. C'est un calcaire graveleux qui, selon les artisans-maçons locaux, durcit tant au séchage qu'ils répugnent à le réutiliser dans les travaux de rénovation. C'est cette pierre dure et imperméable que les habitants de Marignac utilisent pour les premières assises de leurs maisons et pour la construction de leurs réservoirs d'eau pluviale. La carrière de La Pierrière, à la sortie sud du bourg, et peut-être l'affleurement immédiat de l'église où les cours des maisons recèlent des blocs de grand appareil, ont été exploités.
Fronts de taille de la carrière de La Pierrière au sud du bourg de Marignac
L'observateur attentif du travail de la pierre ne manquera pas d'observer les blocs de moyen appareil de l'abside qui, à hauteur d'homme, se trouvent truffés de gros rognons de silex gris-noir que les artisans maçons ont écrasé de leur marteau, à moins que ce soient les carriers de La Pierrière eux-mêmes, avant de les avoir tirés. C'est un phénomène courant dans nos calcaires du Crétacé de voir ces formations siliceuses en des bancs que les carriers redoutent et qu'ils exploitent à part pour fabriquer des clôtures. A Marignac, ils s'en sont accommodés, la pierre étant trop pénible à extraire pour ne pas l'utiliser quand même. On voit ainsi que la pierre ici n'est pas stockée et triée mais utilisée telle quelle au fur et à mesure de son extraction.
Le silex au cœur des blocs à l'abside de Marignac
La pierre des Temps modernes
Au cours des Temps modernes les documents relatifs à la construction deviennent abondants, conservés aux Archives départementales (archives notariales, administratives, judiciaires, etc.) et des chercheurs réunis au sein de la Société des Archives Historiques de la Saintonge et de l'Aunis ne cessent de mettre au jour, transcrire et porter à la disposition du public des documents inédits. Si la pierre n'est pas un sujet dominant, il n'en reste pas moins qu'au sortir de la guerre de Cent Ans, la reconstruction des logis et des châteaux bat son plein, et qu'après la funeste période de destruction des églises lors des guerres de religion les contrats devant notaires se multiplient. L'archive alors fait le lien entre la carrière et le bâti par le biais des contrats passés par les maçons.
En voici quelques exemples :
- le château de Nieul-le-Virouil
- le château de Chaux
- Reconstruction religieuse en Haute-Saintonge
- L'homme sauvage et la bête en l'église de Clion
- La frise de Clion en photogrammétrie (Vidéo 3D)
- La frise de Clion en photogrammétrie ( persecpective à 30° NB)
- L'église Renaissance de Lonzac en Charente-Maritime
- et d'autres exemples plus discrets
La construction du château de Nieul-le-Virouil
La pierre a été prise dans une carrière ouverte au lieu-dit Le Fourneau (commune de St-Sigismond de Clermont) où le sol garde encore la trace des excavations pratiquées.
La carrière à ciel ouvert du Fourneau (cl. B. Sébilleau)
Ancien four à chaux sur le site de la carrière, non loin de l'abbaye de La Tenaille
L'église Renaissance de Lonzac en Charente-Maritime
L'église de Lonzac fait figure d'exception dans le paysage religieux de la Saintonge principalement roman. Elle présente des caractères qui lui confèrent une grande originalité.
Personnage de l'église des Carmes
Personnage qui, du haut d'un contrefort de l'ancienne église des Carmes, à Jonzac, regarde avec curiosité le monde d'en bas...
Bibliographie:
GAILLARD J.-P., « Les carrières de la Charente aux XVII-XVIIIe siècles - L'apport des minutes notariales - L'exemple du fonds des Archives de Charente », dans J. Gaillard (dir.) : L'exploitation traditionnelle de la pierre des Charentes..., p. 195-264.
SEBILEAU B., Pierre Arnoul, seigneur de Nieul, édifie le château de Nieul-le-Virouil, Nieul-le-Virouil, 2015.
SEGUIN M., « Pierre et carrières au début des Temps modernes (vers 1450-vers 1610) » dans : J. Gaillard : L'exploitation traditionnelle de la pierre des Charentes …, p. 141-172.
SEGUIN M., «La construction d'un château neuf : Nieul-le-Virouil (1591)» dans : J. Gaillard : L'exploitation traditionnelle de la pierre des Charentes …, p. 173-178.
La pierre de la Révolution industrielle
La pierre accompagne l'évolution économique du XIXe siècle. Les villes voient leur population augmenter offrant un nouveau visage avec cours et boulevards ; les avenues et les places se parent de beaux immeubles aux façades en pierre de taille. La campagne n'est pas en reste avec pour chaque commune une école de filles et de garçons, voire une mairie. La maison d'habitation se sépare des bâtiments d'exploitation et la ferme viticole s'ouvre par un portail majestueux. La pierre de taille devient l'instrument d'un faire-valoir social qui gagne aussi les cimetières et trouve ainsi une nouvelle vigueur.
Certes il n'y a pas encore d'école technique de taille de la pierre et l'on apprend sur le tas, le plus souvent dans le cadre familial. Les contrats d'apprentissage sont rares et il faut attendre la loi du 22 février 1851 pour qu'apparaissent des obligations engageant les patrons ainsi qu'une limitation du travail des enfants et de la durée de la journée de travail. Mais les pénalités sont dérisoires... Quoiqu'il en soit, le jeune est fier de devenir responsable de ses propres outils, d'en dessiner le contour au crayon sur les fronts de taille. Le témoignage des anciens carriers (en écouter les interviews au chapitre de la pierre et ses carriers) a été d'autant plus sensible qu'ils voyaient disparaître peu à peu les lieux de leur travail (carrières encombrées de déchets ou obstruées pour des raisons de sécurité).
Le vent d'intensivité de la production qui souffle à partir du milieu du siècle gagne aussi l'extraction de la pierre en une sorte de frénésie qui entraîne la multiplication des effondrements. L'administration préfectorale exige alors des règles strictes concernant la taille et l'espacement des piliers, la distance à respecter par rapport au domaine public, et impose des plans pour toute nouvelle exploitation. L'architecture de la carrière s'en trouve profondément modifiée avec des galeries rectilignes et des piliers alignés.
Les carriers affrontent alors les profondeurs avec parfois, comme à Saint-Même ou Thénac, des niveaux d'extraction superposés. Cela a pour conséquences de nouveaux équipements plus efficaces.
L'éclairage des carrières souterraines :
Au Moyen Âge et même aux Temps modernes, les carriers ne s'aventuraient en galerie que dans la mesure où l'entrée apportait une lumière du jour suffisante, complétée sans doute par des torches vite consumées. Au XIXe siècle, on invente alors la lampe à pétrole, version moderne de la lampe à huile antique, une lampe aplatie que l'on peut insérer dans la fente de l'enfiche mais qui produit beaucoup de fumée. C'est dans les années 1890 que, merveille des merveilles, apparaît la lampe à acétylène dite encore « lampe à carbure », une lampe capable de fournir une belle lumière blanche, stable et durable.
Le carbure de calcium mélangé à l'eau produit un gaz inflammable : l'acétylène
Évolution de l'extraction des blocs de pierre de taille
Depuis l'Antiquité, l'outil-roi de l'extraction est le pic, pointu, à double pointe ou à tranchant plat. Au XIXe siècle il est désormais détrôné par le scion avec lequel les carriers réalisent les chambrures, et le sciage sur toutes les faces du bloc, y compris à l'arrière, une fois la clé réalisée. Pour l'utiliser au plus haut des chambrures, en ciel de carrière, le front des scions est abattu. La productivité s'en trouve considérablement améliorée : on produit ainsi davantage, plus vite et moins cher. Les blocs extraits peuvent alors atteindre plusieurs tonnes (les « bahuts ») que l'on débite ensuite au passe-partout selon les besoins de la commande.
Blocs-bahuts de l'exploitation Gourry à St-Même (collection privée)
La mécanique au service du bardage
Déplacer les blocs et les sortir de la carrière est une opération d'autant plus compliquée qu'on s'enfonce profondément dans le sous-sol et que les sorties de chantier sont devenues de plus en plus éloignées et pentues. Les carriers utilisent des outils que l'industrie sidérurgique leur fournit : crics, treuils, grues pivotantes, palans, rails et wagonnets dans certaines carrières.
Grue installée dans une carrière de St-Même et, comme en écho, croquis d'une grue à la carrière de La Maladreie à Jonzac
Croquis d'un treuil mécanique
L'industrie mécanique invente pour le monde agricole et celui des artisans nombre d'outils capables d'améliorer la puissance motrice. Il en est ainsi de ces treuils à roues dentées à plusieurs degrés de démultiplication pour sortir les blocs des trous de pierre bleue, la plus belle mais la plus profonde. Cette mécanisation est encore loin de mettre fin au travail manuel, et l'usage de la force musculaire est toujours de mise. Il n'était pas rare de voir un carrier faire appel à toute la famille, femme et enfants, pour tourner le treuil installé au-dessus des puits.
Treuil de l'entreprise Loubat à Thénac en 1930
Bibliographie:
BOCQUET A., VALAT Z., Les carrières de pierre de Crazannes, Association des publications chauvinoises, Mémoire X, 1995.
BRAUD M., GAILLARD J.-P. (dir.), Saint-Même les Carrières, un village atypique de la Charente saintongeaise, Saint-Même Patrimoine, 2003.
GAILLARD J., Les derniers carriers traditionnels du Val de Charente, Association des éditions chauvinoises, Mémoire XXV, 2004.
SEGUIN M., «La construction d'un château neuf : Nieul-le-Virouil (1591)» dans : J. Gaillard : L'exploitation traditionnelle de la pierre des Charentes …, p. 173-178.
GAILLARD J., « La pierre accompagne l'évolution économique du XIXe siècle » dans J. Gaillard (dir.) : L'exploitation traditionnelle de la pierre des Charentes, 2017, p. 265-300.
Ce parcours chronologique montre que le carrier a gardé au cours des siècles son statut d'artisan traditionnel, c'est-à-dire qu'il a entretenu avec la pierre un rapport physique par l'emploi d'outils qui sont en quelque sorte le prolongement de son bras.
Pour autant l'outillage n'est pas resté immuable et a évolué en s'adaptant à l'économie du moment. Ces pratiques évolutives ont laissé des traces qui donnent à l'archéologue des arguments pour se repérer dans le temps et situer la période d'exploitation d'une carrière abandonnée.
Ce tableau typo-chronologique en offre la synthèse :
Les carrières aux XXe-XXIe siècles
« ZAC de La Mouillère », deux nouvelles carrières reconnues à Jonzac
Diagnostic d’archéologie préventive réalisé par Karine ROBIN, Chef de Service, archéologie départementale
Depuis l’Antiquité, la pierre de Jonzac a fait l’objet d’une continuelle exploitation. Identifiée à la villa gallo-romaine, on la trouve aussi au Haut- Moyen Âge pour la fabrication des sarcophages des anciens cimetières, notamment ceux du parvis de l’église dont la pierre a été tirée des carrières toutes proches de la rue d’Alvy. Mais c’est surtout aux époques moderne et contemporaine que la pierre du Turonien a été exploitée en vastes carrières souterraines. Deux nouvelles carrières (St 2 et St 24) découvertes lors d’un diagnostic archéologique préventif à La Mouillère s’inscrivent dans cette dernière phase d’extraction, soit au début du XXème siècle.
Fig. 1 : Les carrières de pierre de taille de Jonzac
La carrière St 2
La descenderie (accès extérieur de la carrière) est creusée dans un axe perpendiculaire à la pente du terrain et les traces d’outils sont nombreuses sur ses flancs. Il s’agit ici de pics de carriers girondins venus travailler en Saintonge à la fin du XIXème siècle et porteurs de pics particuliers, reconnaissables à leur tranchant bifide de 25 à 30 mm de large, et laissant sur les parois rocheuses des traces concaves. L’usage du scion, cette scie à front large et manche proximal tenu par un seul ouvrier y est constant.
Fig. 2 : Front de taille de la carrière St 2 (cl. K. Robin)
La technique mixte employée sur cette paroi est patente avec les larges aplats de la scie et les stries d’abattage du pic. Cette procédure a commencé dans les années 1860 et s’est poursuivie jusqu’à la guerre de 1914-18
L’exploitation du calcaire se développe dans un espace plus ou moins quadrangulaire de 5,76 m sur 5 m de profondeur pour une hauteur de 3 m. Il s’agit d’une chambre sans pilier qui s’étend sur un unique niveau.
Un espace maçonné pour l’usage des carriers a été aménagé immédiatement à droite de l’entrée avec un soin particulier assez rare pour être souligné, supposant la perspective d’une exploitation durable. Un mur maçonné permet de le fermer, l’accès se faisant par une porte dont les ferrures et les gonds sont encore conservés. Un linteau et des pierres de taille forment l’encadrement de la porte. Sur le parement interne trois petites niches ont été aménagées, donnant au local l’allure d’une pièce à vivre.
Fig. 3 : Plan et coupe de la carrière St 2 (DAO Clément GAY)
Le plan montre la descendrie, le local à vivre (en haut) et la surface exploitée aux contours irréguliers à la recherche d’une bonne pierre. L’exiguïté du chantier montre avec évidence un abandon prématuré.
Fig. 4 : Local du carrier fermé par un mur maçonné et disposant d'une porte (K. Robin)
Fig. 5 : Intérieur du local avec aménagement de trois niches dans le mur et d'une aération (?)
à la base de la paroi
La carrière St 24
La carrière n’a pas fait l’objet d’une étude archéologique semblable à celle menée pour la carrière St 2 précédente. L’ouverture de la carrière a été confiée à Antea Group en vue d’y mener un diagnostic géotechnique définissant les investigations complémentaires à réaliser sur la carrière. Les observations archéologiques demeurent donc plus succintes.
La descenderie perpendiculaire au pendage et conduisant au chemin « des Crevetteries », visible sur les clichés IGN y a été repérée en divers endroits.
L’exploitation du calcaire se développe dans deux chambres d’une surface de 237,71 m². La première chambre avec pilier est trapézoïdale, de 24,11 m sur 7,54 m. La seconde chambre, à droite de l’entrée est de forme quadrangulaire (9,05 x 6,87 m). Les traces d’outils sont semblables à celles de la carrière St 2 (pic girondin, barre d’enfiche et scion). Les parois Le ciel de carrière garde la trace de la combustion des lampes à pétrole qui, régulièrement espacées, sont un indicateur des modules extraits.
Fig. 6 : Façades exploitées à la scie et bloc résiduel sur cales (cl. Clément Gay)
Fig. 7 : Ciel de carrière avec traces de lampe à pétrole (Cl. Clément Gay)
Le ciel de carrière garde la trace de la combustion des lampes à pétrole qui, régulièrement espacées, sont un indicateur des modules extraits.
Fig. 8 : Cécollement du ciel de carrière lié à la nature argileuse de la pierre (cliché Cl. Gay)
Le plafond de la carrière s’est effondré à plusieurs endroits et des traces très hautes d’inondation ont probablement contribué à l’abandon de cette carrière et à l’occlusion de son entrée.
Bibliographie:
GAILLARD Jacques : Les derniers carriers traditionnels du Val de Charente, Association des Publications Chauvinoises, 2004, 102 p.
GAILLARD Jacques et MARCHAT Claude : « Sondage à la carrière de Chez Phelippeau à Ozillac (Chte-Mme) », Bulletin n° 51 de l’Association Archéologique et Historique Jonzacaise, 2008, p. 5 à 41.
ROBIN Karine, 2020 : ROBIN K., BOMBLED P., MORTREUIL V., Jonzac Zac de la Mouillère, Rapport de diagnostic d’archéologie préventive, Département de la Charente-Maritime, La Rochelle, avril 2021, Volume 1, 221 p., volume 2, 38 p.grb